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Saint Pierre Chanel (deuxième partie)



Dernière mise à jour
le 17/02/2022

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Liste des chapitres

De l’entrée de Pierre Chanel en Religion à son départ pour l’Océanie

Pierre Chanel est professeur au collège de Belley

A l’époque où l'abbé Chanel entra dans la Société de Marie, il n'y trouva que deux voies ouvertes à son zèle : le ministère des Missions, surtout dans les campagnes, et un emploi au collège de Belley, dont la direction avait été remise tout récemment entre les mains du Révérend Père Colin par Monseigneur Devie. C'est au collège que Pierre Chanel fut placé comme professeur de la classe de sixième

Pierre Chanel est nommé directeur spirituel du séminaire

Après cette première année d'enseignement, ses supérieurs le nommèrent directeur spirituel du Séminaire. Ce changement se fit pendant les vacances de 1832. Le nouveau directeur mesura devant Dieu toute l'importance et toute l'étendue de sa charge. Sa mission lui parut belle, mais difficile.

Pierre Chanel disait : « Le Père spirituel d'une communauté ne devrait pas être un homme, mais un ange. Confident de toutes les fautes, même de celles qui échappent à la surveillance des maîtres, il a toute autorité pour en arrêter le cours. Afin de prévenir, ou de réprimer, les fautes extérieures, il atteint même les pensées, les désirs les plus secrets, et guérit les plaies les plus cachées. Il forme la conscience des élèves, les éclaire sur leurs défauts, leur indique les moyens de se corriger, et leur donne la force par la grâce des sacrements. C'est à lui encore de faire naître, de développer les vocations, et d'écarter tout ce qui pourrait leur nuire ou les étouffer. Qu'il est à plaindre, le collège où le Sacerdoce n'exerce pas sa divine influence ! Comment peut-il échapper à l'immoralité ? »

L’année scolaire 1832-1833 s'ouvrit, comme tous les ans, par une retraite, qui fut donnée peu de jours après la rentrée. Elle eut un succès auquel la popularité du nouveau directeur ne fut pas étrangère. Le Père Chanel en fut heureux, et il en exprima sa satisfaction dans les lignes suivantes : « Une retraite vient d'avoir lieu dans notre collège. Elle a produit d'excellents fruits. Nous avons eu la consolation de voir nos tribunaux de la pénitence baignés des larmes du repentir. Avec quelle piété nos élèves se sont approchés de la Table sainte ! Aussi, avoir vu notre communauté à la rentrée des classes, et la voir maintenant, c'est voir, pour ainsi dire, le jour et la nuit. On ne la reconnaît pas. Nos enfants sont laborieux, dociles et contents à ravir. Quelques-uns même n'ont pu s'empêcher de venir en bondissant nous exprimer leur bonheur. Je vous assure que, pour ma part, j'en ai pleuré de joie. »

L’approbation de la Société de Marie par le pape Grégoire XVI

En 1833, la Société de Marie comptait dix-sept années d'existence. Son zélé fondateur pensa que le moment était venu de soumettre au père commun des fidèles l'esprit et la marche de cette institution naissante, et d'appeler sur elle l'approbation du chef infaillible de l'Église.

Le cardinal Macchi, ancien nonce à Paris, consulté sur l'opportunité de ce projet, conseilla le voyage de Rome, assurant que l'approbation de la Société de Marie ne souffrirait aucune difficulté, pourvu qu'elle fût demandée par les Ordinaires de Lyon et de Belley. Il n'y avait donc plus qu'à solliciter les lettres de recommandation des deux évêques, et à se rendre dans la ville éternelle.

Les évêques de Lyon et de Belley firent, dans leurs lettres, un bel éloge de la société naissante.Ce lui de Grenoble voulut aussi la recommander au Souverain Pontife. Muni de ces pièces importantes, le Très Révérend Père Colin rédigea une adresse à Sa Sainteté Grégoire XVI, et la fit signer par les dix-sept prêtres qui formaient alors la Société de Marie. Cette adresse, en date du 23 août 1833, précédait le sommaire des règles du nouvel institut, composé de prêtres, de frères, de sœurs et d'un tiers ordre. A ceux qu'étonnait le plan si vaste soumis au Très Saint Père, le pieux fondateur répondait : « Le but de mon voyage était uniquement de consulter sur notre entreprise, et d'accomplir un vœu, que j'avais fait depuis longtemps, de travailler à l'œuvre jusqu'à ce qu'elle eût été soumise au Souverain Pontife. J'ai donc, dès le principe, déclaré positivement qu'il ne s'agissait nullement de l'approbation de la Société ; qu'à cette fin nous présenterions plus tard des règles plus complètes; mais que, dans ce moment, nous ne cherchions que des conseils et le consentement du Saint-Siège, pour poursuivre l'entreprise. »

Le Très Révérend Père Colin choisit, pour l'accompagner à Rome, les pères Chanel et Bourdin, et le départ fut fixé au 26 août, jour où s'ouvraient les vacances pour le petit Séminaire de Belley.

Le voyage à Rome

Les trois voyageurs firent d'abord le pèlerinage de Fourvière, dont le sanctuaire était comme le berceau de leur Société. Le 4 septembre, ils s'embarquèrent à Marseille sur un brick qui portait le nom gracieux de Madone de Bon-Secours.

En sortant du port, deux bâtiments qui les précédaient s'entrechoquèrent violemment, et ne purent continuer leur route. Le Père Chanel s’écria : « N'ayons pas peur, le navire qui nous porte est le navire de la Sainte Vierge. » Le voyage, cependant, ne fut pas sans épreuves. Les voyageurs n'arrivèrent à Rome que le 15 septembre.

Leur première visite fut à la basilique du prince des Apôtres. Après avoir satisfait sa dévotion, le Père Chanel, admirant les vastes proportions du temple et les richesses qu'il renferme, dit en souriant : « Convenez qu'on a élevé en l'honneur de mon saint patron une église vraiment digne de lui. » Le lendemain, il offrit le saint sacrifice à la Confession de Saint-Pierre. Attiré par sa piété envers son glorieux patron, il visita la prison Mamertine et le mont Janicule.

Parcourant les catacombes de Saint-Sébastien et de Saint-Laurent, le Colisée, etc., il s'écriait : « Une retraite qu'on ferait ici, n'aurait besoin ni de livres, ni de prédicateur ; chaque pas évoque un religieux souvenir; on respire un parfum de foi et de piété ; l'air est comme imprégné du sang des martyrs »

Il n'eut garde d'oublier saint Louis de Gonzague; en célébrant les divins mystères sur la tombe de cet ange mortel, le Père Chanel payait un tribut de piété au saint qu'il avait pris pour patron secondaire. Il aimait trop les élèves de Belley pour ne pas penser à eux auprès de leur protecteur et de leur modèle.

Il disait : « L'une des principales raisons qui me font aimer Rome, c'est le parfum de dévotion envers Marie qu'on respire à chaque pas. » Son cœur, en effet, éprouvait une douce émotion à la vue des madones exposées à l'intérieur ou à l'entrée de presque toutes les maisons. Il fut encore plus vivement impressionné, lorsqu'il visita les temples magnifiques que la piété des Romains a élevés à la gloire de Marie, sous les titres les plus beaux et les plus consolants.

L’audience

Dès le lendemain de leur arrivée, nos trois voyageurs avaient fait une visite au cardinal Macchi, et lui avaient remis les différentes pièces qu'ils apportaient. Son Éminence voulut bien présenter Elle-même ce dossier au Très Saint Père, le 17 septembre.

Les demandes d'audience étaient si nombreuses que Pierre Chanel craignit d'être obligé de quitter Rome sans avoir pu déposer aux pieds du Souverain Pontife les hommages de sa piété filiale. Comme il en exprimait sa douleur au cardinal Macchi, celui-ci lui dit : « Consolez-vous, je prierai moi-même Sa Sainteté d'accorder à mes bons Pères Maristes la faveur qu'ils sollicitent. » Grâce à la prière du cardinal, l'audience tant désirée eut lieu le lendemain, 28 septembre 1833. Le Père Chanel en rendit compte au Père Convers, dans une lettre en date du même jour où il dit en terminant : « Notre audience a duré près de trois quarts d'heure. Je ne puis vous exprimer ce qui s'est alors passé dans mon âme. Il me semble que je suis sous l'impression d'un songe... Au sortir du palais pontifical, nous avons récité, dans la première église que nous avons rencontrée, le Te Deum et le Magnificat en reconnaissance de la haute faveur que nous venions de recevoir. »

En les bénissant, le pape Grégoire XVI avait prononcé ces paroles : « Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre. » Nos trois voyageurs les avaient gravées dans leur cœur, et ils en demandaient à Dieu la réalisation, pour sa plus grande gloire et l'honneur de sa sainte Mère.

Pierre Chanel est nommé supérieur du petit séminaire de Belley

La Société de Marie, grâce à la protection de sa céleste patronne, grandissait de jour en jour. Il devenait nécessaire de régler sa marche et de compléter ses constitutions. Pour n'être point distrait dans ce travail, le Très Révérend Père Colin voulut se trouver seul avec Dieu. En se retirant dans la solitude, il nomma le Père Chanel supérieur du petit Séminaire de Belley.

Obligé d'accepter une fonction que son humilité redoutait, le Père Chanel résolut de la remplir avec toute la perfection possible. Il apporta d'abord le plus grand soin à ce que tout fût prêt dans le petit Séminaire, pour la rentrée des élèves.

L’approbation de la Société de Marie

Le 11 mars, la Sacrée Congrégation des Évêques et Réguliers avait pris la décision de supplier le Très Saint Père d'approuver la Société de Marie, en ordonnant d'expédier à ce sujet des lettres apostoliques, et que, le 18, Sa Sainteté Grégoire XVI avait pleinement confirmé la résolution des éminentissimes cardinaux. Le bref porte la date du 29 avril 1836, jour à jamais béni pour tous les membres du nouvel institut. Quand le Père Colin reçut le pli qui le renfermait, il réunit, avant de l'ouvrir, les confrères qui se trouvaient auprès de lui, et tous vinrent successivement se mettre à genoux et baiser humblement la lettre pontificale, en signe d'adhésion pleine et entière à tout ce qu'elle contenait ; ils l'ouvrirent ensuite, et lurent, avec une profonde émotion, ces paroles du Vicaire de Jésus- Christ :

« Le salut de toutes les nations, dont nous avons reçu la charge du prince des pasteurs et de l'évêque des âmes, Nous pousse à veiller continuellement pour ne laisser échapper aucun moyen de faire louer le nom du Seigneur, du levant au couchant, et de faire régner et resplendir la très sainte foi catholique, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu.

C'est pourquoi Nous environnons de la bienveillance particulière de notre cœur paternel, surtout ces ecclésiastiques qui, réunis en société, se rappelant leur institution et leur vocation, ne cessent d'exhorter les peuples selon la saine doctrine par la prédication de la parole divine et la dispensation de la grâce multiforme de Dieu, et s'efforcent, avec tout le soin et toute l'application possible, de produire, dans la vigne du Seigneur, des fruits abondants de vertu et d'honnêteté.

Certes, nous n'avons pas éprouvé un médiocre plaisir lorsque Nous avons appris que notre cher fils Claude Colin et quelques prêtres du diocèse de Belley, en France, avaient jeté, déjà depuis un certain nombre d'années, les fondements d'une nouvelle société de religieux, sous le titre de Société de Marie.

Cette société a pour but principal d'accroître la gloire de Dieu et l'honneur de sa très sainte Mère, et de propager l'Église romaine, soit par l'éducation chrétienne des enfants, soit aussi par les missions jusqu'aux extrémités de l'univers. »

Les Maristes ont l’Océanie occidentale en charge

Le bref rappelait ensuite que la Sacrée Congrégation de la Propagande avait assigné l'Océanie occidentale aux nouveaux religieux et leur accordait toutes les facultés nécessaires pour élire un supérieur général et émettre les vœux simples de religion. Il fut décidé que la nomination du supérieur général et l'émission des vœux auraient lieu, après une retraite, le samedi 24 septembre, fête de Notre-Dame de la Merci.

Un autre bref nommait Monseigneur Pompallier, né à Lyon le 11 décembre 1802, évêque de Maronée et Vicaire Apostolique de l'Océanie occidentale. Il porte la date du 13 mai, jour auquel le Saint-Siège a fixé la fête de Notre-Dame, Mère du divin Pasteur.

Pierre Chanel écrivit à l’un de ses amis : « Ah ! La bonne nouvelle que j'ai à vous donner ! Notre petite Société vient d'être approuvée par le Vicaire de Jésus-Christ, qui a daigné encore lui confier les missions de l'Océanie. Quelles actions de grâces ne devons-nous pas rendre à Dieu !

J'ai manifesté mes vieux désirs, et mon cœur ne cesse de battre de joie, depuis que mon nom est inscrit pour le premier envoi de missionnaires. Nous serons d'abord huit : cinq prêtres et trois frères catéchistes. Le Père Bret, que vous connaissez, est du nombre. Il partage mon bonheur. Toutefois il paraît plus sérieux, plus recueilli qu'à l'ordinaire. Depuis quelques jours, je ne lui vois dans les mains que son chapelet ou la vie de saint François Xavier.

Nous serons prêts au premier signal de départ que nous donnera le Souverain Pontife. Il nous tarde de monter à bord du navire qui nous transportera en Polynésie. Il est impossible que, dans une si longue traversée, nous ne courions pas de très grands dangers. Je ne m'en effraie pas le moins du monde ; j'ai déjà fait à Dieu le sacrifice de ma vie. Une seule chose m'épouvante, c'est d'être si indigne de la vocation apostolique. J'ai un si grand besoin de l'assistance de Dieu et de la Sainte Vierge, que je quête partout des prières. Je compte sur les vôtres. Monseigneur Devie, qui m'a fort encouragé, m'a promis le secours des siennes. »

Le dernier retour au pays natal

Dès les premiers jours de juillet, il fit le voyage de la Potière, afin de préparer sa famille, et surtout sa mère, à la dernière séparation. Il écrivit à la même personne : « Je reviens du pays natal, j'ai laissé, grâce à Dieu, mes parents en bonne santé. Tout en leur parlant des missions étrangères, je ne leur ai point dévoilé mon projet ; j'aurais fait couler trop de larmes. J'ai cependant confié mon secret à deux curés du voisinage, les chargeant de préparer les cœurs à la terrible nouvelle de mon départ, de consoler surtout ma pauvre mère.

Pardon si j'ai traversé votre village sans m'y arrêter : j'étais trop pressé de rentrer à Belley : le cri de mon devoir faisait un bruit de tonnerre.

L’attente des feuilles de pouvoirs

Depuis qu'on a daigné m'admettre pour les missions de l'Océanie, mon esprit et mon cœur sont presque toujours au-delà des mers. Il me semble que je suis déjà au milieu de mes chers sauvages. Je crois les voir et leur parler. Oh! Qu'il me tarde que cette douce illusion se convertisse en réalité !

Le Très Révérend Père Colin, notre supérieur général, espère recevoir bientôt nos feuilles de pouvoirs. Il activera de tout son zèle notre départ, pour ne pas avoir à se reprocher la perte d'une seule âme. On ne peut lui parler de cette mission sans l'attendrir jusqu'aux larmes. Il nous accompagnerait volontiers, s'il pouvait se dégager des liens qui le retiennent en France. »

Il dit à la même personne : « Voulez-vous savoir sur quel point du globe nous débarquerons ? Prenez votre Atlas : doublez le cap Horn, situé à l'extrémité de l'Amérique méridionale, et arrivez jusqu'à nos antipodes. Notre mission embrasse tous les archipels compris entre le sud de la Nouvelle-Zélande et le nord de l'Océan Pacifique. Quel vaste champ nous aurons à défricher ! Que n'avons-nous mille vies pour une telle entreprise ! Ah! Qu'il me tarde de me confier à la mer ! Une voix me crie, au fond du cœur, que ma véritable patrie est dans les îles qui viennent de nous échoir en partage. Je ne suis plus maintenant qu'un exilé en France. Ne croyez pas, cependant, que j'oublie jamais ma famille, mes bienfaiteurs et mes amis. Priez, ah ! Priez pour moi. »

Le doute précédant le départ

Libéré de la charge de ses élèves au retour des vacances le 18 août 1836, Pierre Chanel parut tout à coup plus réfléchi et plus sérieux qu'à l'ordinaire. Cette vocation de l'apostolat, qu'il avait tant désirée, et dont l'annonce lui avait procuré tant de joie, sembla l'effrayer, et son âme en était toute troublée. A la vue des difficultés et des dangers que présentent les missions lointaines, il se demandait avec anxiété s'il n'avait point cédé trop vite à l'enthousiasme du moment, et s'il avait assez mûri devant le Seigneur une si haute ambition.

Tout préoccupé de ces pensées, il se présenta, un jour, à Bon-Repos, et, en demandant à la supérieure générale les prières de sa communauté, il ne put s'empêcher de manifester ses craintes et ses inquiétudes. La bonne supérieure luit dit : « Ah ! Mon Père, quelle grâce le Seigneur vous fait en vous envoyant en Océanie ! Et vous laisseriez échapper de vos mains la palme de l'apostolat, et peut-être celle du martyre ! Voudriez-vous ressembler à ces ouvriers évangéliques qui craignent de sacrifier leurs aises et leurs commodités, lorsqu'il est question de la gloire de Dieu ? Allons, courage et confiance ! Nos prières vous sont assurées; nous comptons sur les vôtres. »

Ces paroles furent comme un trait de lumière pour le Père Chanel. Tous les nuages qui obscurcissaient son esprit se dissipèrent à l'instant, et il se trouva confirmé dans sa vocation, sans que rien ne fût capable désormais de l'ébranler.

La retraite sous la présidence de Monseigneur Devie et de Monseigneur Pompallier

Au milieu du mois de septembre, les membres de la Société de Marie se réunirent à Belley, dans leur maison dite des Capucins, pour faire leur retraite sous la présidence de Monseigneur Devie et de Monseigneur Pompallier, évêque de Maronée. A la suite des saints exercices, le samedi 24, fête de Notre-Dame de la Merci, les prêtres qui composaient la petite Société élurent canoniquement, conformément au bref d'approbation, pour supérieur général le Très Révérend Père Jean-Claude-Marie Colin ; et tous, à sa suite, émirent les trois vœux religieux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Dans cette circonstance, personne ne témoigna plus d'empressement que Pierre Chanel. Le Père Bourdin lui ayant avoué qu'il hésitait, il le prit par la main et l'embrassa. Il lui dit : « Ah ! Cher ami, n'ayez pas peur ; je vous connais de trop vieille date pour mettre en doute votre vocation. » Et le P. Bourdin s'enrôla à l'instant sous la bannière de Marie.

Il fit graver, et distribua par centaines, une image de la Vierge immaculée, avec cette invocation : « Que par vous, ô Marie, le nom du Sauveur des hommes soit connu et adoré sur toute la terre. »

Pierre Chanel est nommé provicaire apostolique

Personne n'estimait plus le Père Chanel que Monseigneur l'Évêque de Maronée. Aussi, le jeune prélat s'empressa-t-il de le nommer son Provicaire Apostolique. Déjà le Très Révérend Père Colin l'avait établi Supérieur des Pères et des Frères qui devaient s'embarquer pour l'Océanie. Ce double titre lui imposa l'obligation de s'occuper, d'une manière plus spéciale, des intérêts de la mission et des préparatifs du départ.

Les adieux à Monseigneur Devie

Il se présenta d'abord à Monseigneur Devie, pour lui faire ses adieux. Le vénérable prélat l'accueillit avec une bonté mêlée de tristesse. Il lui dit : « Mon enfant, vous allez donc nous quitter ! Vous allez voir se réaliser l'aspiration qui remplit votre âme depuis tant d'années. Vous dirai-je que c'est le premier chagrin qui me vient de vous ? Et cependant, je m'en réjouis, puisque vous obéissez, je n'en puis douter, à la volonté de Dieu, qui vous appelle aux travaux apostoliques. Plus d'une fois, j'ai dû vous contrarier en m'opposant à votre départ pour le Nouveau Monde : mais je n'ajournais le commencement de votre mission que pour m'éclairer, devant Dieu, sur la réalité d'une vocation qui sort de la voie commune. Du reste, il était bon que vous y fussiez préparé par l'exercice du saint ministère. La divine Providence a fait mieux encore : elle vous y a disposé par la vie religieuse. La carrière dans laquelle vous entrez est à la fois belle et difficile ; attendez-vous à des privations et des fatigues sans cesse renaissantes. Mais courage ! La Sainte Vierge, dont vous êtes l'enfant de prédilection, vous soutiendra, vous consolera, et vous fera triompher des obstacles. Adieu, recevez la bénédiction de celui qui ne vous reverra plus sur la terre. »

Le jeune apôtre se prosterna aux pieds du prélat, qui, attendri jusqu'aux larmes, l'embrassa pour la dernière fois.

La tournée d’adieux

Il fit ses adieux à Belley, à Ambérieu, au grand séminaire de Brou, à sa famille. Le Père Chanel arriva à Lyon le 5 octobre, et fit plusieurs voyages dans l'intérêt de sa mission. Partout sur son passage, à Saint-Romain-de-Couzon, à Saint-Étienne, à Saint-Chamond, dans les différentes communautés qu'il visita, il recueillit ce qu'il demandait, des prières et des aumônes.

La lettre de mission du supérieur général de la Société de Marie

Les préparatifs du départ s'achevaient lorsque le Très Révérend Père, supérieur général de la Société de Marie, adressa aux premiers missionnaires qu'il envoyait en Océanie une lettre que voici :

« Belley, 13 octobre 1836.

Mes bien chers frères en Jésus et Marie,

Que la grâce et la paix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la protection de Marie, notre mère, soient avec vous et vous accompagnent partout.

J'ose vous en faire l'aveu, c'est avec une espèce de secrète jalousie que je vous vois rompre, avec un si saint courage, tous les liens de la chair et du sang, pour suivre la voie qui vous appelle et porter le flambeau de la foi aux peuples de l'Océanie occidentale. Que ne puis-je participer à votre bonheur et partager vos peines et vos travaux, pour ensuite avoir une part à la grande récompense que le ciel vous promet ! Mais, hélas ! Mes péchés me rendent indigne de la grâce de l'apostolat et du martyre. Souffrez, du moins, que je vous donne quelques avis, qui peut-être pourront vous être utiles, et qui seront pour vous une nouvelle preuve de ma tendre affection.

  1. Ne comptez jamais sur vous, ni dans la prospérité, ni dans l'adversité, mais uniquement sur Jésus et Marie. Plus vous serez pleins de cette défiance de vous-mêmes et de cette confiance en Dieu, plus vous attirerez les lumières et les grâces du ciel sur vous. L'homme de foi, qui place sa confiance en Dieu seul, est inébranlable au milieu des plus grands dangers. Il n'est ni téméraire, ni pusillanime ; il dit sans cesse : Omnia possum in eo qui me confortat. Souvenez-vous continuellement que le succès de votre mission sera la récompense de votre foi et de votre confiance en Dieu seul.
  2. Ne perdez jamais de vue la présence du Sauveur du monde. C'est en son nom que vous partez ; c'est lui qui vous envoie : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Il sera avec vous partout, comme autrefois il était avec ses apôtres ; il sera avec vous dans vos courses, dans vos voyages sur terre, sur mer, dans le calme comme dans la tempête, en santé comme dans la maladie ; si vous avez faim ou soif, il aura faim ou soif avec vous. C'est lui que l'on recevra dans vos personnes, que l'on persécutera si l'on vous persécute, que l'on rebutera si l'on vous rebute. Voyez-le donc partout, en tout temps, dans tous les événements heureux ou fâcheux ; voyez-le partout, intimement uni à vous, partageant vos travaux, vos souffrances, vos joies, vos consolations. Rapportez-lui la gloire de toutes vos actions, vous oubliant vous-mêmes, ne vous regardant que comme de vils instruments. C'est dans la pensée continuelle à ce divin Sauveur que vous trouverez votre force, votre paix et toutes les lumières dont vous aurez besoin.
  3. Dans les persécutions, dangers, privations, tentations, maladies, ne raisonnez jamais avec vous-mêmes ; ne vous concentrez point au dedans de vous ; autrement les désolations, les regrets, la tristesse s'empareront de vous, et vous sentirez votre courage et votre vertu singulièrement s'affaiblir. Mais portez de suite vos vues, vos pensées sur Jésus et Marie, sur le ciel, sur les souffrances du Sauveur, etc. Je vous recommande extrêmement cette pratique: vous en sentirez bientôt l'importance.
  4. Soyez hommes de prière et d'oraison. Convertir une âme est plus que ressusciter un mort ; or, tout cela ne peut se faire que par la prière. Priez donc continuellement pour la conversion de vos infidèles : offrez chaque jour vos actions à cette fin, et un jour par semaine, au choix de chacun de vous, offrez dans le même but et pour vos besoins particuliers, toutes les bonnes œuvres qui se feront dans chaque branche de la Société. Cette pratique vous attirera de grandes grâces.
  5. Quelque occupés que vous soyez, ne passez aucun jour sans réciter au moins quelques dizaines de chapelet. Mettez toujours chaque île où vous aboutirez sous la protection de Marie.
  6. Autant que vous le pourrez et que le permettront les circonstances des lieux, soyez toujours simples, modestes, pauvres, cependant propres dans vos habits et tout votre extérieur, demandant les uns aux autres les diverses permissions dont vous aurez besoin, lorsque vous ne pourrez recourir à Monseigneur Pompallier.
  7. Vœ soli, a dit l'Esprit-Saint, et ce sera surtout en Polynésie que l'isolement sera dangereux : aussi il n'y a que des circonstances nécessaires qui puissent vous permettre de sortir ou de rester seul ; dans les autres cas, vous devez porter jusqu'au scrupule le soin d'être toujours au moins deux ensemble, ne serait-ce que pour aller vous promener. Cette précaution vous mettra à l'abri de beaucoup de dangers.

    Enfin, soyez unis en Jésus et Marie. Point de contestation, point de raisonnement entre vous, obéissant à Monseigneur Pompallier, comme à votre évêque et votre supérieur. Je vous renouvelle la recommandation que je vous ai faite, de n'adresser les lettres que vous enverrez en Europe, qu'au supérieur de la Société.

Je finis cette lettre par où j'ai commencé. Je vous souhaite la paix, l'amour de Jésus et de Marie. Soyez courageux : ne laissez point pénétrer la crainte, la mélancolie dans votre âme. Relisez souvent cette lettre ; prenez-en chacun une copie. Je vous embrasse tous avec la plus tendre affection, et vous promets le concours des prières de la Société tout entière.

Profitez de toutes les occasions pour nous donner de vos nouvelles.

Je suis, et serai toujours, votre très humble et tout dévoué serviteur.

COLIN, Supérieur. »

La lettre de réponse de Pierre Chanel

Le Père Chanel fit de cette lettre la règle de sa conduite, et répondit plus tard au Très Révérend Père Colin : « Agréez nos bien vifs sentiments de reconnaissance pour les sages avis que vous daignez nous donner. Puissent-ils fructifier dans nos cœurs ! Nous désirerions que nos cœurs fussent aussi brûlants que le climat sous lequel nous vivons. Mais, hélas ! Combien il s'en faut qu'il en soit ainsi ! Nous tâchons de faire tous les jours nos exercices de piété ensemble. Nous avons chacun une copie de votre lettre, que nous regardons tous comme un monument de votre tendresse paternelle à notre égard. Nous suivons le règlement que Monseigneur notre évêque nous a dicté. Nous désirons bien tous ne pas mettre obstacle aux effets des miséricordes de Dieu sur les insulaires commis à nos soins. Mais, hélas! Nous savons mieux désirer que faire. »

L’attente du départ au Havre

Pierre Chanel passa par Paris et Rouen pour arriver au Havre.

Le 21 novembre, il écrivit à sa sœur, religieuse à Bon-Repos : « Encore un petit mot entre nous deux, ma bonne sœur, puisque nous pouvons le faire. Voici bientôt un mois que je suis au Havre, ou, pour parler plus exactement, à Ingouville, situé à quelques minutes du Havre. Le mauvais temps nous retient sur le rivage, malgré toute la ferveur des prières qui se font pour nous. Tous les jours, nous nous mettons à consulter les nuages, pour voir la direction qu'ils prennent, et, presque tous les jours, ils nous ont apporté pluie, grêle ou neige, éclairs et tonnerre. Cependant, samedi dernier, l'espérance de revoir le beau temps nous est revenue. Dimanche a été meilleur encore. Aujourd'hui, fête de la Présentation de la Sainte Vierge, nous commençons à craindre, de nouveau, les vents contraires et la pluie. Dieu soit béni de tout ! Que personne ne se lasse de prier, parce qu'aucun d'entre nous ne se lassera d'être reconnaissant et de s'en bien trouver. »

Un mois après, il écrit à sa sœur : « C'est pour aujourd'hui, 23 décembre, qu'est fixé notre départ. Mais il est bien possible que, d'après les impénétrables desseins de Dieu, nous ne partions pas encore tout à fait aujourd'hui (je commence à dire aujourd'hui, parce que je vois qu'il est minuit et quart), car l'excellente Mme Dodard, notre bienfaitrice, se trouve dangereusement malade. Elle ne cesse depuis quelque temps de demander à Dieu la grâce de mourir (quand sa maison sera pleine de missionnaires. Elle en a maintenant plus qu'elle n'en peut loger. Elle n'en a jamais eu autant à la fois. (Ils étaient alors au nombre de trente-quatre.) Il est possible que le bon Dieu lui accorde l'effet de sa demande.

C'est Monseigneur Pompallier qui lui a administré le saint viatique et l'extrême-onction. Ces deux cérémonies ont été des plus touchantes, tant par la foi et la ferveur de cette bonne dame, que par le nombre des missionnaires qui y assistaient. Ce sera une bien triste consolation pour nous, que d'aller accompagner au cimetière celle qui nous prodigue toutes sortes de soins et d'attentions. Que la volonté de Dieu soit faite ! »

Le jour de la Présentation de la Sainte Vierge, il écrit à la Supérieure générale des Sœurs de la Providence de Portieux : « Tout indigne que je suis de la sublimité de ma vocation, je ne voudrais pas l'échanger contre un royaume. Je manque de tout, excepté de bonne volonté. Vous m'aiderez, je l'espère, à obtenir le zèle et les vertus nécessaires au plus pauvre des missionnaires. »

A la fin du mois de novembre, il écrit au Très Révérend Père Colin, et par lui à ses chers enfants de Belley : « Après un mois d'attente, nous touchons, enfin, au moment de notre départ. Le navire qui doit nous porter jusqu'à Valparaiso, est tout prêt à sortir du port, si le bon Dieu ne juge pas à propos de l'y retenir encore quelques jours. La Joséphine, qui doit conduire Monseigneur Blanc avec ses vingt-deux missionnaires jusqu'à la Nouvelle-Orléans, partira en même temps que notre Delphine. Il est convenu qu'on chantera l'Ave maris Stella sur les deux navires. Tout le monde a promis de le faire de bon cœur. Nous sommes tous contents comme des rois, et brûlons tous du désir de nous confier à tous les dangers de la mer, pour plaire à Notre-Seigneur et à sa sainte Mère...

Je suis bien édifié de la conduite de tous mes confrères. Je devrais donner le bon exemple, et je le reçois : voilà comme j'ai le malheur de laisser renverser les choses. »