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Sainte Élisabeth de Thuringe



Dernière mise à jour
le 17/02/2022

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Fête 17 novembre, mémoire obligatoire
Naissancevers l’an 1207
Mort17/12/1231
Saints contemporains
NomNaissanceMortFonction
saint Antoine de Padoue119513/06/1231docteur de l’Église
sainte Edwige1243
saint Étienne de Châtillon1208évêque de Die
saint Louis25/04/12141270roi de France
Hommes contemporains
NomNaissanceMortFonction
Alexandrine de Vienne 1242
Béatrix I d’Albon 1161 16/12/1228
Guichard IV 1160 1216 seigneur de Beaujeu
Philippe II 21/08/1165 14/07/1223 roi des Francs
roi de France
Renaud IV 1249 sire de Beaugé
Thomas Ier de Savoie, Thomas de Maurienne 27/05/1178 01/03/1233 comte de Savoie
ULRICH III 1220 sire de Beaugé
Ulric II vers l’an 1220 sire de Beaugé

Liste des chapitres

Les attributs de sainte Élisabeth de Thuringe.

Les attributs de sainte Élisabeth de Thuringe sont un habit franciscain, un tablier avec des roses, une robe princière, un broc, une corbeille de pain, une couronne, une aumône, des fleurs, une échelle, du pain.

Résumé.

Princesse de Hongrie, elle fut fiancée à l'âge de quatre ans et mariée à quatorze au landgrave de Thuringe. Ce fut une épouse aimante pour ce mari qu'elle n'avait pas choisi, se parant pour lui faire honneur, alors qu'elle n'aimait que la simplicité.

Des franciscains venus d'Allemagne lui firent connaître l'esprit de saint François et elle se mit au service des pauvres et des familles éprouvées par la guerre. En 1227, son époux tant aimé mourut au moment de s'embarquer pour la croisade. Élisabeth se retrouva veuve à 20 ans, enceinte d'un troisième enfant. Comme on voulut la remarier, elle refusa et, pour cette raison, connut l'injustice de sa famille qui la chassa avec ses trois enfants et l'hébergea dans une porcherie. Son oncle l'évêque de Bamberg calma le jeu. Elle put revêtir l'habit du tiers-ordre franciscain. La famille ducale se chargea des enfants. Elle ne garda pour elle qu'une pauvre demeure et mit alors tous ses revenus au service des pauvres. Elle leur fit construire un hôpital. Joyeuse de tout ce qu'elle dut endurer, elle disait : « Je ne veux pas faire peur à Dieu par une mine sinistre. Ne préfère-t-il pas me voir joyeuse puisque je l'aime et qu'il m'aime ? » Elle mourut à 24 ans ayant voué sa vie et sa santé à rendre heureux les misérables.

Audience générale de Benoît XVI du 20 octobre 2010.

Chers frères et sœurs,

Aujourd’hui, je voudrais vous parler de l’une des femmes du Moyen Age ayant suscité le plus d’admiration. Il s’agit de sainte Élisabeth de Hongrie, appelée également Élisabeth de Thuringe.

Elle naquit en 1207. Les historiens débattent sur son lieu de naissance. Son père était André II, riche et puissant roi de Hongrie qui, pour renforcer les liens politiques, avait épousé la comtesse allemande Gertrude d’Andechs-Merania, sœur de sainte Edwige, elle-même épouse du duc de Silésie. Élisabeth vécut à la cour de Hongrie les quatre premières années de son enfance uniquement, avec sa sœur et ses trois frères. Elle aimait le jeu, la musique et la danse. Elle récitait fidèlement ses prières, et manifestait déjà une attention particulière pour les pauvres, qu’elle aidait au moyen d’une bonne parole ou d’un geste affectueux.

Son enfance heureuse fut brusquement interrompue lorsque, de la lointaine Thuringe, arrivèrent des chevaliers pour la conduire à son nouveau domicile, en Allemagne centrale. Selon la coutume de l’époque, en effet, son père avait établi qu’Élisabeth devienne princesse de Thuringe. Le Landgrave ou comte de cette région était l’un des souverains les plus riches et influents d’Europe au début du XIIIe siècle, et son château était un centre de splendeur et de culture. Mais derrière les fêtes et la gloire apparente se cachaient les ambitions des princes féodaux, souvent en guerre entre eux, et en conflit avec les autorités royales et impériales. Dans ce contexte, le Landgrave Herman accueillit bien volontiers les fiançailles entre son fils Ludovic et la princesse hongroise. Élisabeth quitta sa patrie pourvue d’une riche dot et d’une importante suite, composée notamment de ses demoiselles de compagnie personnelles, dont deux demeureront ses amies fidèles jusqu’à la fin. Ce sont elles qui nous ont laissé de précieuses informations sur l’enfance et la vie de la sainte.

Après un long voyage, ils arrivèrent à Eisenach, pour monter ensuite vers la forteresse de Wartburg, l’imposant château dominant la ville. C’est là que furent célébrées les fiançailles de Ludovic et Élisabeth. Au cours des années qui suivirent, tandis que Ludovic apprenait le métier de chevalier, Élisabeth et ses compagnes étudiaient l’allemand, le français, le latin, la musique, la littérature et la broderie. Bien que les fiançailles aient été décidées pour des raisons politiques, entre les deux jeunes gens naquit un amour sincère, animé par la foi et le désir d’accomplir la volonté de Dieu. À l’âge de 18 ans, Ludovic, après la mort de son père, commença à régner sur la Thuringe. Mais Élisabeth devint l’objet de critiques voilées, car sa façon de se comporter ne correspondait pas à la vie de la cour. Ainsi, la célébration du mariage se déroula elle aussi sans faste, et les dépenses pour le banquet furent en partie dévolues aux pauvres. Dans sa profonde sensibilité, Élisabeth voyait les contradictions entre la foi professée et la pratique chrétienne. Elle ne supportait pas les compromis. Un jour, en entrant dans l’église en la fête de l’Assomption, elle enleva sa couronne, la déposa devant la croix et demeura prostrée au sol, le visage couvert. Lorsque sa belle-mère lui reprocha son geste, elle répondit : « Comment moi, misérable créature, puis-je continuer de porter une couronne de dignité terrestre, lorsque je vois mon Roi Jésus Christ couronné d’épines ? ». Elle se comportait devant Dieu comme envers ses sujets. Dans les Dépositions des quatre demoiselles de compagnie, nous trouvons ce témoignage: « Elle ne consommait aucune nourriture sans s’assurer auparavant qu’elle provenait des propriétés et des biens légitimes de son époux. Tout en s’abstenant des biens procurés de façon illicite, elle se prodiguait pour dédommager ceux qui avaient subi une violence » (nn. 25 et 37). Un véritable exemple pour tous ceux qui occupent des rôles de guide : l’exercice de l’autorité, à tous les niveaux, doit être vécu comme un service à la justice et à la charité, dans la recherche constante du bien commun.

Élisabeth pratiquait assidûment les œuvres de miséricorde : elle donnait à boire et à manger à ceux qui frappaient à sa porte, elle procurait des vêtements, elle payait les dettes, elle prenait soin des malades et enterrait les morts. En descendant de son château, elle se rendait souvent avec ses servantes dans les maisons des pauvres, apportant du pain, de la viande, de la farine et d’autres aliments. Elle remettait la nourriture personnellement et contrôlait avec attention les vêtements et les lits des pauvres. Ce comportement fut rapporté à son mari, qui non seulement n’en fut pas ennuyé, mais qui répondit aux accusateurs: « Tant qu’elle ne vend pas le château, j’en suis content ! ». C’est dans ce contexte que se situe le miracle du pain transformé en roses : alors qu’Élisabeth marchait sur la route avec son tablier rempli de pain pour les pauvres, elle rencontra son mari qui lui demanda ce qu’elle portait. Elle ouvrit son tablier et, au lieu du pain, apparurent des roses magnifiques. Ce symbole de charité est présent de nombreuses fois dans les représentations de sainte Élisabeth.

Son mariage fut profondément heureux : Élisabeth aidait son mari à élever ses qualités humaines à un niveau surnaturel, et lui, en échange, protégeait sa femme dans sa générosité envers les pauvres et dans ses pratiques religieuses. Toujours plus admiratif en raison de la foi profonde de son épouse, Ludovic, se référant à son attention envers les pauvres, lui dit : « Chère Élisabeth, c’est le Christ que tu as lavé, nourri et dont tu as pris soin ». Un témoignage clair de la façon dont la foi et l’amour envers Dieu et envers le prochain renforcent la vie familiale et rendent l’union matrimoniale encore plus profonde.

Le jeune couple trouva un soutien spirituel chez les frères mineurs, qui, à partir de 1222, se diffusèrent en Thuringe. Parmi eux, Élisabeth choisit le frère Roger (Rüdiger) comme directeur spirituel. Lorsqu’il lui raconta l’épisode de la conversion du jeune et riche marchand François d’Assise, Élisabeth s’enthousiasma encore plus sur son chemin de vie chrétienne. À partir de ce moment-là, elle fut encore davantage décidée à suivre le Christ pauvre et crucifié, présent chez les pauvres. Même lorsque son premier fils naquit, suivi de deux autres, notre sainte ne négligea jamais ses œuvres de charité. En outre, elle aida les frères mineurs à construire à Halberstadt un couvent, dont frère Roger devint le supérieur. La direction spirituelle d’Élisabeth passa, ainsi, à Conrad de Marbourg.

Une dure épreuve fut l’adieu à son mari, à la fin de juin 1227, lorsque Ludovic IV s’associa à la croisade de l’empereur Frédéric II, rappelant à sa femme qu’il s’agissait d’une tradition pour les souverains de Thuringe. Élisabeth répondit: « Je ne te retiendrai pas. Je me suis entièrement donnée à Dieu et à présent je dois aussi te donner ». Mais la fièvre décima les troupes et Ludovic tomba malade et mourut à Otrante, avant même d’embarquer, en septembre 1227, à l’âge de vingt-sept ans. Élisabeth, ayant appris la nouvelle, ressentit une telle souffrance qu’elle se retira dans la solitude, mais ensuite, fortifiée par la prière et réconfortée par l’espérance de le revoir au Ciel, elle recommença à s’intéresser aux affaires du royaume. Mais une autre épreuve l’attendait : son beau-frère usurpa le gouvernement de la Thuringe, se déclarant le véritable héritier de Ludovic et accusant Élisabeth d’être une femme pieuse incompétente pour gouverner. La jeune veuve, avec ses trois enfants, fut chassée du château de Wartburg et se mit à la recherche d'un lieu où trouver refuge. Seules deux de ses servantes demeurèrent à ses côtés, l'accompagnèrent et confièrent les trois enfants aux soins des amis de Ludovic. En voyageant de village en village, Élisabeth travaillait là où elle était accueillie, elle assistait les malades, elle filait et elle cousait. Au cours de ce calvaire supporté avec beaucoup de foi, avec patience et dévouement à Dieu, certains parents qui lui étaient restés fidèles et considéraient comme illégitimes le gouvernement de son beau-frère, réhabilitèrent son nom. Ainsi Élisabeth, au début de l'année 1228, put recevoir un revenu approprié pour se retirer dans le château de famille à Marbourg, où habitait aussi son directeur spirituel Conrad. C'est lui qui rapporta au Pape Grégoire IX le fait suivant : « Le Vendredi saint de 1228, les mains posées sur l'autel dans la chapelle de sa ville de Eisenach, où elle avait accueilli les frères mineurs, en présence de plusieurs frères et de parents, Élisabeth renonça à sa propre volonté et à toutes les vanités du monde. Elle voulait renoncer aussi à toutes ses possessions, mais je l'en dissuadais par amour des pauvres. Peu après, elle construisit un hôpital, elle recueillit les malades et les invalides et elle servit à sa table les plus misérables et les plus abandonnés. L’ayant moi-même réprimandée à ce propos, Élisabeth répondit qu'elle recevait des pauvres une grâce spéciale et l’humilité » (Epistula magistri Conradi, 14-17).

Nous pouvons percevoir dans cette affirmation une certaine expérience mystique semblable à celle vécue par saint François : le Poverello d'Assise déclara en effet dans son testament, qu'en servant les lépreux, ce qui auparavant lui était amer fut transmué en douceur de l'âme et du corps (Testamentum, 1-3). Élisabeth passa les trois dernières années de sa vie dans l'hôpital qu'elle avait fondé, servant les malades, veillant avec les mourants. Elle essayait toujours d'accomplir les services les plus humbles et les travaux répugnants. Elle devint ce que nous pourrions appeler aujourd'hui une femme consacrée dans le monde (soror in saeculo) et forma, avec d'autres amies, vêtues de gris, une communauté religieuse. Ce n'est pas par hasard qu'elle est la patronne du Tiers Ordre régulier de saint François et de l'Ordre franciscain séculier.

En novembre 1231, elle fut frappée par de fortes fièvres. Lorsque la nouvelle de sa maladie se propagea, une foule de gens accourut lui rendre visite. Après une dizaine de jours, elle demanda que les portes fussent fermées, pour demeurer seule avec Dieu. Dans la nuit du 17 novembre, elle s'endormit doucement dans le Seigneur. Les témoignages sur sa sainteté furent si nombreux qu’à peine quatre ans plus tard, le Pape Grégoire IX la proclama sainte et, la même année, fut consacrée la belle église construite en son honneur à Marbourg.

Chers frères et sœurs, dans la figure de sainte Élisabeth, nous voyons que la foi et l'amitié avec le Christ créent le sens de la justice, de l'égalité entre tous, des droits des autres et créent l'amour, la charité. Et de cette charité naît aussi l'espérance, la certitude que nous sommes aimés par le Christ et que l'amour du Christ nous attend et ainsi nous rend capables d'imiter le Christ et de voir le Christ dans les autres. Sainte Élisabeth nous invite à redécouvrir le Christ, à l'aimer, à avoir la foi et trouver ainsi la vraie justice et l'amour, ainsi que la joie d'être un jour plongés dans l'amour divin, dans la joie de l'éternité avec Dieu, Merci.

À partir de la légende dorée.

Tous les faits rapportés dans cette légende sont racontés dans la Vie de sainte Élisabeth, par M. de Montalembert. Cet auteur a puisé aux sources contemporaines.

La signification d'Élisabeth.

Élisabeth veut dire : Mon Dieu a connu, ou la septième de mon Dieu, ou le rassasiement de mon Dieu. Élisabeth veut dire :

  1. Mon Dieu a connu, parce que Dieu l’a connue. Il l’a observée à son souhait Il l’a approuvée ou connue.
  2. Élisabeth veut dire : le septième de mon Dieu. En effet : Et ces sept différents états sont contenus dans sa légende, afin qu'on puisse dire d'elle ce qu'on a dit dans Daniel de Nabuchodonosor : « Sept temps se passeront sur elle.  »
  3. Élisabeth veut dire : rassasiement de mon Dieu : car Dieu l’eut bientôt rassasiée et remplie de la splendeur de la vérité, de la douceur de la suavité, et de la vigueur de la Trinité. Ce qui fait dire à saint Augustin en parlant de la cité céleste, dans sa Cité de Dieu : « L'éternité de Dieu est sa force, la vérité de Dieu, sa lumière et la bonté de Dieu, sa joie. »

La simplicité et la dévotion d'Élisabeth enfant.

Élisabeth, illustre fille du roi de Hongrie, noble de race, mais plus noble encore par la foi et la religion, ennoblit sa famille déjà célèbre par ses exemples. Elle l’illustra par ses miracles, et elle la décora de la grâce de la sainteté.

L'auteur de la nature l’éleva, en quelque sorte, au-dessus de la nature. Toute jeune encore et nourrie dans les délices de la royauté, soit elle méprisait les jeux de l’enfance, soit elle les tournait à l’honneur de Dieu, ce qui manifesta sa simplicité et sa dévotion précoce. Dès son jeune âge, elle faisait des bonnes œuvres, méprisait les jeux dans lesquels se mêlait de la vanité, fuyait la prospérité mondaine, et se fortifiait dans le respect de Dieu. À tout juste cinq ans, elle restait dans l’église et priait avec tant d'ardeur que ses compagnes ou ses servantes avaient du mal à l'en faire sortir. Ses servantes et les enfants de son âge remarquaient qu'au cours des jeux, elle cherchait à se rapprocher de la chapelle dans le bu d'y pénétrer. Elle se mettait alors à genoux, ou se prosternait entièrement sur le pavé. Bien qu'elle ne sache pas lire, à l’église, elle ouvrait souvent devant elle un psautier et faisait semblant de lire, pour paraître occupée et que personne ne viennent la distraire. Quelquefois encore, sous prétexte de jouer, elle se couchait par terre comme pour se mesurer avec les petites filles. C'était pour témoigner son respect à Dieu. Au jeu de bagues et autres, elle mettait tout son espérance en Dieu. Étant encore petite, quand elle gagnait, ou qu'elle possédait quelque chose d'une autre façon, elle en donnait la dîme à de pauvres petites filles, en les exhortant à réciter souvent l’oraison dominicale, comme aussi la salutation angélique.

Elle croissait en âge comme elle croissait en dévotion. Elle choisit la sainte Vierge, mère de Dieu, pour sa patronne et son avocate, et saint Jean l’évangéliste comme gardien de sa chasteté. Des billets, sur chacun desquels était écrit le nom d'un des apôtres, étaient posés sur l'autel. Chaque jeune fille tirait au sort un billet. Élisabeth prit trois fois de suite, après avoir fait une prière, le billet sur lequel était écrit le nom de saint Jean(1), comme elle le souhaitait. Elle avait tant de dévotion et d'amour pour lui qu'elle ne refusait jamais ce qu'on lui demandait en son nom. Pour ne pas se laisser trop flatter par les avantages mondains, elle donnait chaque jour une partie des biens qu'elle gagnait. Quand elle avait été heureuse au jeu, elle l’interrompait en disant : « Je ne veux plus gagner, mais j'abandonne le reste pour Dieu. »

Quand elle était appelée à danser avec ses autres compagnes, dès qu'elle avait fait un tour, elle disait : « C'est assez d'un tour, j'abandonne les autres pour Dieu » et elle tempérait ainsi la vanité des jeunes personnes. Elle avait horreur d'utiliser des costumes peu décent s. Il s'obligea aussi un certain nombre d'oraisons à réciter et lorsqu'elle avait été empêchée par quelque occupation de s'en acquitter et que ses suivantes l’obligeaient à se mettre au lit, elle veillait pour les réciter avec son époux céleste.

Cette noble jeune fille passait les jours solennels dans une si grande dévotion qu'elle ne souffrait, sous n'importe quel prétexte, qu'on lui cousut ses manches avant que la messe solennelle n'eût été achevée. Elle s'interdit l’usage des gants, les jours de dimanche, jusqu'à midi, voulant en cela respecter ce saint jour et satisfaire à sa dévotion. Pour cela elle avait coutume de s'obliger par vœu à d'autres pratiques semblables, afin que personne ne pût la détourner de sa résolution, par des avis opposés. Elle entendait l’office  divin avec un si grand respect, qu'au moment où on lisait l’évangile, et à celui de la consécration, elle déliait ses manches, si par hasard elles étaient cousues, elle quittait ses colliers, et elle déposait les autres ornements qu'elle portait sur la tête.

Élisabeth se marie pour obéir à son père.

Quand elle eut atteint dans la pratique de la vertu et dans l’innocence virginale l’âge de puberté, elle fut contrainte de se marier, pour obéir aux ordres pressants de son père, afin de recevoir le fruit trentenaire pour avoir observé avec la foi en la Trinité, les préceptes du Décalogue. Elle consentit bien malgré elle à subir les obligations imposées à une épouse, non pour céder à la convoitise de la chair, mais pour tenir compte de l’ordre de son père et pour mettre au monde des enfants qu'elle élèverait dans le service de Dieu : car, bien qu'assujettie aux lois du lit conjugal, elle ne fut cependant sujette à aucune volupté coupable.

On en a la preuve dans le vœu qu'elle fit, entre les mains de Maître Conrad, de vivre dans une continence perpétuelle, si elle venait à survivre à son époux.

L'humilité et la dévotion d'Élisabeth une fois mariée.

Elle fut donc mariée au landgrave de Thuringe, ainsi que l’exigeait son origine royale . Il n'y eut rien de changé dans ses affections malgré son changement de situation. Sa ferveur dans l’oraison était telle qu'elle devançait ses suivantes pour se rendre à l’église au plus vite, et c'était en quelque sorte par des prières adressées à l’insu de tous, qu'elle obtenait toute sorte de grâces de Dieu.

Souvent, pendant la nuit, elle se levait pour faire oraison. Son mari la priait de se ménager et de reposer un peu son corps. Elle s'était arrangée avec une de ses chambrières qui lui était plus attachée que les autres, pour qu'elle la réveillât en lui touchant le pied, si accablée par le sommeil, elle venait à ne pas se lever. Or, une fois qu'elle voulut toucher le pied de sa dame, elle poussa le pied du duc, son mari, qui se réveilla en sursaut, mais qui, s'étant aperçu de ce qui se passait, souffrit cela avec patience et eut assez de prudence pour le dissimuler. Afin de rendre un sacrifice agréable à Dieu par ses prières, souvent elle l’arrosait de larmes abondantes, larmes qu'elle répandait avec joie, et sans que son visage en fût changé de manière à l’enlaidir. Toujours elle pleurait avec douleur, elle se réjouissait de cette douleur, et cependant la joie ne cessait d'embellir son extérieur.

Elle s'abaissa jusqu'à un tel degré d'humilité, que, pour l’amour de Dieu, elle ne se contentait pas d'en exercer les actes les plus vils et les plus abjects, mais elle s'en acquittait avec un dévouement extrême. Elle posa sur son sein un malade d'une figure dégoûtante et dont la tête exhalait une puanteur affreuse. Après lui avoir coupé les cheveux malpropres, elle lui lava la tête, tandis que ses servantes riaient. Aux Rogations, toujours elle suivait la procession nu-pieds et vêtue de laine. Aux sermons des prédicateurs, elle prenait humblement place parmi les plus pauvres femmes, comme si elle eut été pauvre. Lors de la purification après ses couches, elle ne s'ornait jamais comme les autres femmes de pierres précieuses, ni ne se couvrait de vêtements brodés d'or, mais à l’exemple de la Vierge-mère, elle prenait son nouveau-né entre ses bras, et l’offrait humblement à l’autel avec un agneau et un cierge, pour apprendre par-là à mépriser les pompes du monde, et pour se conformer à la Vierge sans tache. En revenant ensuite chez elle, elle donnait à quelque pauvre femme les vêtements avec lesquels elle s'était rendue à l’église.

Pour faire ressortir davantage son humilité, il faut dire que cette sainte, entièrement libre et d'une haute dignité, se soumit tellement à l’obéissance de maître Conrad pauvre et mendiant, mais distingué en science et en religion, que, sauf le droit du mariage, et du consentement de son mari, elle accomplissait avec grande joie et révérence tout ce qu'il lui commandait, afin d'avoir ainsi le mérite de l’obéissance et d'imiter l’exemple de notre Sauveur qui s'est rendu obéissant jusqu'à la mort.

Un jour, il la fit appeler pour qu'elle l’entendît prêcher : mais la marquise de Misnie étant survenue, elle se trouva empêchée. Conrad irrité ne voulut pas pardonner une pareille désobéissance, et l’ayant fait dépouiller jusqu'à la chemise, il la fit fouetter durement avec quelques-unes de ses suivantes coupables comme elle.

Elle s'imposait une si grande abstinence et des austérités telles qu'elle macérait son corps par les veilles, la discipline et le jeûne. Souvent elle quittait le lit de son mari, pour passer la nuit sans dormir, afin qu'elle pût se livrer à l’oraison, et prier en secret le Père céleste. Lorsqu'elle était vaincue par le sommeil, elle dormait étendue sur des tapis : mais quand son mari s'absentait, elle passait toute la nuit en prière avec l’époux céleste. Souvent elle se faisait rudement fouetter dans son lit par les mains de ses servantes, pour imiter le Sauveur flagellé et pour réprimer la convoitise de la chair. Telle était sa tempérance dans le boire et dans le manger, qu'à la table de son mari, parmi les différents plats qu'on servait, elle se contentait quelquefois de pain sec. En effet maître Conrad lui défendit de toucher à ceux des mets de son mari sur l’origine desquels elle ne pouvait se former une conscience sûre. Elle pratiqua cela avec tant de scrupule que, quand les autres se nourrissaient de mets délicats, elle ne faisait usage, avec ses suivantes, que d'aliments fort grossiers. Souvent cependant elle se mettait à table, et elle touchait aux aliments en les découpant, pour paraître en manger, afin de ne pas être taxée de superstition, et sa politesse enchantait tous les convives.

Une fois, étant accablée par la fatigue d'une longue course, on avait servi à son mari et à elle différents mets qu'il était difficile de croire avoir été acquis par un légitime travail. Elle s'en abstint et mangea tranquillement avec ses suivantes du pain noir dur trempé dans l’eau chaude. Ce fut à cause de cela que son mari lui assigna quelques revenus légitimes dont elle vivait avec ses suivantes qui étaient, sur ce point, en tout accord avec elle. Souvent elle refusa les mets de la cour pour demander des vivres à quelques braves gens. Or, son mari supportait tout cela en patience. Il assurait que volontiers il en agirait ainsi lui-même, s'il ne craignait d'apporter le désordre dans sa maison. Au faîte de la gloire, elle avait une grande affection pour l’état de pauvreté afin de rendre hommage à Jésus-Christ pauvre, et de ne laisser découvrir en elle au monde rien qui lui appartînt. Aussi arrivait-il quelquefois, que se trouvant seule avec ses suivantes, elle se couvrait de vêtements grossiers et mettait sur la tête un voile de rebut : Elle disait alors : « Voici comme je marcherai, lorsque j'aurai atteint à l’état de pauvreté. » Bien qu'elle se fût imposée à elle-même de grandes privations, elle était si généreuse envers les pauvres, qu'elle ne souffrait pas que personne restât dans la gêne. Elle subvenait au contraire à tous avec la plus grande libéralité, au point qu'on l’acclamait généralement la mère des pauvres.

Elle s'appliquait avec des soins extrêmes à pratiquer les sept œuvres de miséricorde, afin de pouvoir obtenir pour toujours le royaume éternel, et de posséder la bénédiction du Père céleste avec les bénis de la droite. D'abord elle vêtait ceux qui étaient nus en habillant les pèlerins et les pauvres, en donnant le linge nécessaire pour ensevelir les morts et pour baptiser les petits enfants. Souvent elle était elle-même la marraine des nouveau-nés, cousait leurs vêtements de ses propres mains, afin qu'ayant contracté avec eux les obligations de la maternité, elle subvenienne à leurs besoins plus largement.

Il arriva qu'elle donne à une pauvre femme un vêtement en assez bon état. Celle-ci en voyant un cadeau si magnifique, fut étouffée par la joie. Elle tomba par terre et on la crut morte. À cette vue, Élisabeth regretta d'avoir fait un tel don craignant être la cause de la mort de cette femme. Elle pria pour la mendiante qui se releva guérie. Elle filait souventde ses propres mains de la laine avec ses suivantes. Elle en faisait confectionner des habits, pour donner l’exemple de la véritable humilité et donner à Dieu l’aumône de ses travaux manuels. Elle nourrissait ceux qui ont faim, en fournissant des aliments aux pauvres. Le landgrave son mari étant allé à la cour de l’empereur Frédéric, pour lors à Crémone, elle fit ramasser toutes les provisions qu'elle avait dans ses granges pour donner le nécessaire aux pauvres Ils accouraient de toutes parts, à cause de l'augmentation des prix et de la grande famine.

Quand l’argent lui manquait, elle vendait ses ornements pour subvenir aux nécessités des indigents . Elle avait l’habitude de se priver et de priver ses suivantes pour les pauvres. Elle donnait à boire à ceux qui avaient soif. Un jour, elle avait distribué de la cervoise aux pauvres et en donna à chacun une quantité suffisante. La boisson n'avait pas diminué dans le vase. Il y en avait la même quantité qu'auparavant. Elle donnait l’hospitalité aux pèlerins et aux pauvres. Elle fit construire au pied de son château, qui était situé fort haut, une maison très spacieuse, où elle soignait une grande multitude de malades. Elle les visitait chaque jour, malgré les difficultés causées par les montées et les descentes. Elle leur fournissait tout ce qui leur était nécessaire. Par ses exhortations, elle les invitait à la patience . Elle suppportait difficilement le mauvais air. Malgré cela et la chaleur de l’été, par amour pour Dieu, elle ne craignait pas l’infection des malades. Elle leur administrait des médicaments, les essuyait avec ses cheveux, les maniait elle-même, tandis que ses suivantes étaient accablées. Dans cette même maison, elle faisait nourrir, les petits enfants des pauvres femmes. Elle se montrait si douce et si humble envers eux, que tous la nommaient leur mère.0 Quand elle entrait dans cette maison, tous ces petits êtres la suivaient comme si elle était leur mère, et se plaçaient avec affection par groupes autour d'elle.

Quelquefois elle faisait acheter de petits vases en poterie, des anneaux de verre et d'autres jouets pour que les enfants s'amusassent. Un jour, elle monta à cheval au château avec ces objets dans un pan de son manteau, ces objets. Ils tombèrent du haut d'un rocher fort élevé, sur des pierres. Il n'y eut pas même une fêlure. Elle visitait les infirmes. Sa compassion pour les misérables dominait tellement son cœur qu'elle allait à leur recherche, dans leur logis, pour les visiter avec intérêt, entrant dans leurs chaumières avec familiarité et dévouement, n'étant rebutée ni par la difficulté des chemins, ni par les fatigues de la route. Elle leur donnait ce dont ils avaient besoin et leur adressait des paroles de consolation. C'est pourquoi elle reçut sa récompense par cinq considérations :

Souvent elle assistait aux sépultures des pauvres et y courait, avec grande dévotion, après les avoir ensevelis dans la toile qu'elle avait elle-même tissée. Une fois elle coupa en morceaux son grand voile de lin pour envelopper le corps d'un pauvre. Elle s'occupait elle-même de leurs funérailles et elle restait aux obsèques avec piété. Son mari, qui bien qu'embarrassé d'une multitude d'affaires, était fort dévoué au service de Dieu. Comme il ne pouvait personnellement s'occuper de pareilles choses, il avait accordé à son épouse la liberté de faire tout ce qui contribuait à l’honneur de Dieu et pouvait procurer le salut de son âme.

Le mari d'Élisabeth meurt.

Alors la bienheureuse Élisabeth, désirant que son mari employât la puissance de ses armes à la défense de la foi, l’engagea, par ses exhortations salutaires, à aller visiter la Terre-Sainte. Comme il y était, ce landgrave, prince fidèle, dévot et remarquable par l’intégrité de sa foi et par son dévouement sincère, rendit son âme à Dieu et alla recevoir le fruit glorieux de ses œuvres. Élisabeth embrassa donc ainsi avec amour l’état du veuvage, pour ne pas perdre le fruit attaché à la continence des veuves, mais pour recevoir ainsi le soixante-dixième fruit qu'elle avait mérité par la pratique des dix commandements et des sept œuvres de miséricorde. Or, quand la mort de son mari eut été connue dans toute la Thuringe, Élisabeth fut chassée de sa patrie avec ignominie et violence par quelques vassaux de son mari, comme prodigue et dissipatrice.

Quand arriva la nuit, elle se retira, en rendant de grandes grâces à Dieu, en la maison d'un cabaretier. Elle resta dans un endroit où l’on avait mis des pourceaux. Le matin, elle alla chez des Frères Mineurs, qu'elle pria de remercier Dieu pour ce qu'elle endurait et de chanter le Te Deum laudamus. Le lendemain, elle fut forcée d'aller, avec ses quatre petits enfants, chez un de ses ennemis, où on lui assigna un espace très étroit. Comme elle était maltraitée par son hôte et son hôtesse, elle dit adieu aux murailles : « Je remercierais volontiers les hommes si je les trouvais bienfaisants. » Elle fut donc forcée de regagner l’endroit où elle s'était arrêtée en premier et elle envoya ses petits enfants en différents endroits pour qu'on les y nourrît.

Un jour, elle passait dans un sentier étroit et rempli d'une boue profonde, au milieu duquel on avait placé quelques pierres. Uune vieille femme, à laquelle elle avait fait jadis beaucoup de bien passait sur ces pierres. Elle refusa de céder le pas à Élisabeth qui tomba dans ce bourbier profond. Elle se releva et essuya ses vêtements avec joie et en riant.

L'oncle d'Élisabeth, évêque, veut la remarier.

Ensuite, sa tante maternelle, qui était abbesse, ayant de la compassion pour son extrême pauvreté, la mena chez l’évêque de Bamberg, son oncle, qui la reçut honnêtement et la garda avec précaution dans l’idée de la faire convoler à de secondes noces. Quand ses suivantes, qui avaient fait avec elle vœu de continence, apprirent cela, elles s'en affligèrent à en pleurer, et en informèrent avec gémissement la bienheureuse Élisabeth. Elle leur rendit courage en disant: « J'ai confiance que le Seigneur, pour l’amour duquel j'ai fait vœu de continence perpétuelle, m’affermira dans ma résolution, s'opposera à toute violence et déjouera les projets des hommes. Et si, par hasard, mon oncle voulait me marier, je m’y opposerai de cœur comme de bouche. Que s'il ne me restait aucun moyen d'échapper, je me couperai le nez afin de devenir un objet d'horreur à tous les hommes. » Ayant donc été conduite, malgré elle, de par l’ordre de l’évêque, à un château, pour y demeurer jusqu'à son mariage, après avoir recommandé sa chasteté, avec larmes, au Seigneur, voici que par la providence divine, les ossements de son mari sont rapportés d'outre-mer.

Les restes du mari d'Élisabeth sont rapatriés.

Elle eut ordre de l’évêque de revenir pour aller en toute dévotion à la rencontre de ces précieux restes. Ils furent reçus en une belle procession par l’évêque et par elle avec grand respect et beaucoup de larmes.

Alors elle se tourna vers le Seigneur en disant : « Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous avez daigné consoler une misérable telle que moi, dans la réception des ossements de mon époux qui vous était cher. Vous savez, Seigneur, combien j'ai chéri cet époux qui vous aimait tant; cependant, par amour pour vous, j'ai été privée de sa présence. Je l’ai laissé partir pour secourir votre Terre-Sainte. Vous savez combien j'aurais désiré vivre avec lui dans une condition telle que je fusse réduite à mendier en sa compagnie, comme une pauvresse à travers le monde entier. Cependant, vous en êtes témoin, je ne le rachèterais pas, contre votre volonté, au prix d'un seul cheveu de ma tête; et je ne le rappellerais pas là cette vie mortelle. Eh bien ! je le recommande, ainsi que moi, à votre grâce. »

Mais pour ne perdre pas le centième fruit accordé à ceux qui, gardant la perfection évangélique, sont transférés de la gauche de la misère à la droite de la gloire, elle revêtit l’habit religieux, qui consistait en vêtements gris, pauvres et grossiers, gardant une chasteté perpétuelle après la mort de son mari, pratiquant l’obéissance parfaite et embrassant la pauvreté volontaire. Elle voulait encore aller mendier de porte en porte ; mais maître Conrad ne le permit pas. Ses habits étaient si sales qu'elle portait un manteau gris rallongé avec une pièce d'une autre couleur. Les manches de sa robe qui étaient déchirées furent rapiécées avec des morceaux de différentes couleurs.

Le Seigneur exauce Élisabeth.

Le roi de Hongrie, son père, apprenant que sa fille était réduite à un pareil dénuement, lui députa un comte pour la faire revenir à la maison paternelle. Quand il la vit habillée de la sorte, assise avec humilité et filant, il s'écria rempli de confusion et d'admiration : « Jamais fille de roi ne fut vue habillée, d'une façon aussi vile, ni occupée à filer n'importe quelle laine. » Après avoir insisté fortement pour qu'elle revînt, elle n'y acquiesça absolument pas, aimant mieux vivre dans l’indigence avec les pauvres que d'habiter dans l’opulence avec les riches. Afin que son esprit s'attachât tout entier à Dieu et qu'elle ne fût jamais dérangée dans sa dévotion, elle pria le Seigneur de lui inculquer le mépris de toutes les choses temporelles, d'arracher de son cœur l’amour de ses enfants et de lui accorder le mépris, les affronts et la constance. Quand elle eut achevé sa demande, elle entendit le Seigneur lui dire : « Ta prière est exaucée. »
Et elle dit à ses suivantes : « Le Seigneur a exaucé ma demande, et je regarde tout ce qui est de la terre comme fumier. Je ne m’inquiète pas de mes enfants plus que de tout autre prochain. Je compte pour rien les mépris et les opprobres; et il me semble que je n'aime plus autre chose que Dieu. »

La soumission à maître Conrad.

Maître Conrad, de son côté, lui faisait subir des contrariétés et des duretés. Velles qu'elle paraissait affectionner le plus, il les séparait d'elle. Il éloigna deux fidèles suivantes qu'elle aimait particulièrement, nourries avec elle depuis son enfance: mais ce ne fut pas sans qu'il fût versé beaucoup de larmes de part et d'autre.

Or, ce saint homme agissait ainsi pour briser sa volonté, pour élever son affection entièrement à Dieu, et dans la crainte que quelques unes de ses suivantes ne lui fît revenir à la mémoire sa gloire passée. Mais en tout cela, on la trouvait prompte à obéir, constante à endurer, afin que, par la patience, elle fût maîtresse de son âme, et que par l’obéissance, elle fût digne de remporter la victoire. Elle disait encore : « Si pour Dieu je crains tant un homme mortel, combien dois-je craindre le Juge céleste. Aussi ai-je voulu faire vœu d'obéissance à maître Conrad, pauvre et mendiant, et non pas à quelque évêque riche, pour éloigner de moi toute occasion de consolation temporelle. » Une fois, elle avait été priée instamment de venir dans un cloître de religieuses. Elle le fit sans avoir obtenu la permission de son maître. Alors celui-ci la fit fouetter si rudement que trois semaines après on voyait encore la trace des coups. Elle disait alors à ses suivantes pour les consoler et se consoler elle-même-: « Lors des inondations d'un fleuve, le gazon s'abat, et quand l’eau décroît, il se relève. De même aussi quand il nous arrive quelque affliction, nous devons nous soumettre par esprit d'humilité. Quand elle cesse, nous devons nous élever à Dieu par une joie spirituelle. » Elle s'abaissait à un degré d'humilité tel qu'elle ne souffrit jamais que ses suivantes l’appelassent madame. Elle voulait, quand elles lui parlaient, qu'elles se servissent du nombre singulier, comme nous avons coutume, par exemple, de parler à un inférieur.

Elle lavait les écuelles, ainsi que les autres ustensiles de cuisine, et afin que ses suivantes ne l’en empêchassent pas, elle les envoyait alors ailleurs. Elle disait aussi : « Si j'avais trouvé un genre de vie plus méprisé, je l’aurais choisi de préférence. »

Les visions célestes.

En outre, afin de posséder avec Marie la meilleure part, elle vaquait assidûment à la contemplation. Dans cet exercice, elle eut pour grâces spéciales de répandre des larmes, de jouir souvent de visions célestes et d'enflammer les autres à l’amour de Dieu. Il lui arrivait quelquefois de paraître plus joyeuse que d'ordinaire. Alors elle répandait, des larmes de douce dévotion, qui semblaient couler de ses yeux comme de la source la plus limpide, en sorte qu'on la voyait pleurante et gaie tout à la fois, et ces larmes ne laissèrent jamais de trace de laideur, ni des rides sur son visage. Elle disait de ceux qui se gâtent le visage avec leurs larmes : « On dirait qu'ils ont peur du Seigneur ; qu'ils donnent donc à Dieu avec joie et gaieté ce qu'ils possèdent. » Dans ses oraisons et au milieu de ses contemplations, elle avait souvent des visions célestes. Un jour du saint temps de carême qu'elle était à l’église, elle resta les yeux fixés vers l’autel, comme si elle y eût admiré Dieu présent. Et pendant un long espace de temps, elle fut consolée et récréée par une révélation divine. Revenue ensuite à la maison, elle fut obligée, en raison de sa faiblesse, de s'appuyer sur le giron d'une suivante, et pendant qu'elle tenait les yeux fixés vers le ciel, en regardant par la fenêtre, son visage fut inondé d'une joie si vive qu'elle fut prise d'un rire extraordinaire.

Quand elle eut été remplie de joie de tout ce qu'elle vit d'agréable, tout à coup elle versa un torrent de larmes. Mais ayant de nouveau ouvert les yeux, elle reprit son air de gaîté, puis fermant les yeux, elle versa encore d'abondantes larmes, et jusqu'à l’heure des Complies, elle ressentit des consolations divines de la même nature. Elle resta longtemps dans un profond silence, ne prononçant pas un seul mot. Enfin ces paroles lui échappèrent tout à coup : « Oui, Seigneur, vous voulez être avec moi et moi je veux être avec vous, et n'être jamais séparée de vous. » Plus tard ses suivantes lui demandèrent de leur dire, pour l’honneur de Dieu et pour leur édification, ce qu'elle avait vu. Elle se laissa vaincre par leur importunité. Elle leur dit : « J'ai vu le ciel ouvert, et Jésus qui, se penchant vers moi avec une extrême bonté, me montrait le visage le plus ouvert. J'étais donc inondée d'une joie ineffable de le voir. Quand il se retirait, je restais accablée d'une grande tristesse. Alors il eut pitié de moi, et me réjouit encore une fois de la vue de son visage et me dit : « Si tu veux être à moi, je veux bien être avec toi. » Et je lui ai répondu ce que vous m’avez entendu dire. » On la pria encore de raconter la vision qu'elle avait eue vis-à-vis de l’autel. Elle répondit: « Ce que j'y ai vu, il n'est pas expédient de le raconter. J'y ai ressenti cependant beaucoup de joie, et j'ai considéré les merveilles de Dieu. » Souvent aussi pendant son oraison, sa face resplendissait d'une manière merveilleuse et de ses yeux jaillissaient des rayons semblables à ceux du soleil. Souvent encore son oraison était si fervente qu'enflammait les autres personnes.

La puissance de la prière d'Élisabeth.

Elle appela chez elle un jeune homme habillé d'une façon mondaine et lui dit : « Vous paraissez vivre avec trop peu de retenue au lieu de servir votre Créateur. Voudriez-vous que je priasse Dieu pour vous ? »
Il répondit : « Je le veux bien et je le souhaite fort. »
Quand elle se fut mise en oraison, après avoir demandé au jeune homme de se mettre de son côté à prier pour lui, il s'écria à haute voix : « Cessez, madame, cessez dès ce moment de prier. » Mais comme elle priait avec plus d'insistance encore, le jeune homme cria plus haut : « Cessez, madame, parce que je me meurs, je suis brûlé. » En effet il était brûlé d'une telle chaleur, qu'il était tout fumant de sueur, et qu'il agitait son corps et ses bras comme un insensé, au point qu'on accourut pour le tenir, qu'on trouva ses habits trempés de sueur et qu'on ne pouvait supporter sa chaleur. Il continua de crier : « Je suis tout en feu, je suis consumé. » Or, quand la bienheureuse Élisabeth eut achevé sa prière, le jeune homme cessa d'avoir chaud. En revenant à lui, il fut éclairé de la grâce divine et entra dans l’ordre des Frères Mineurs. Cette chaleur manifesta la ferveur ardente de sa prière, ardeur si forte qu'elle enflamma même un homme froid. Mais ce jeune homme, accoutumé à vivre selon la chair, et qui n'avait aucun goût pour la vie spirituelle, ne pouvait comprendre de pareilles choses.

Parvenue au comble de la perfection, elle ne quitta pas les soins laborieux de Marthe pour la contemplation de Marie, ainsi qu'il a été montré ci-dessus dans les sept œuvres de miséricorde. En effet, quand elle eut pris l’habit religieux, elle pratiqua néanmoins les œuvres d'une piété active.

Élisabeth fait construire un hôpital.

Elle avait reçu pour sa dot deux mille marcs; elle en distribua une partie aux pauvres, et avec le reste, elle fit construire un grand hôpital à Marbourg. C'est pour cela que tout le monde la regardait comme dissipatrice, comme prodigue, et qu'on l’appelait folle. Elle savait accepter avec joie toutes les injures. On lui reprochait d'avoir chassé bien vite de son cœur le souvenir de son mari, puisqu'elle était ainsi transportée de joie. Quand elle eut fait construire l’hôpital, elle se dévoua au service des pauvres comme une humble servante. Elle était remplie de sollicitude à leur égard, elle les mettait dans le bain, les portait dans leur lit, les couvrait. Elle se félicitait auprès de ses suivantes, en disant: « Quel bonheur nous avons de baigner et de couvrir ainsi le Seigneur. » Elle porta son humble dévouement à l’égard des pauvres à un degré tel que, dans une nuit, elle porta sept fois, dans ses bras, aux lieux secrets, un enfant borgne et couvert de gale. Elle lava sans répugnance ses linges salis. Elle lavait souvent une femme couverte d'une affreuse lèpre, la mettait dans son lit, essuyant ses plaies qu'elle enveloppait, lui donnait des médicaments, lui coupait les ongles, et se mettait à genoux pour délier les cordons de ses souliers. Elle engageait les infirmes à se confesser et à communier. Elle obtint cela d'une vieille femme qui refusait obstinément, mais ce fut après l’avoir corrigée en la frappant. Quand elle n'était pas occupée à soigner les pauvres, elle filait de la laine qu'on lui envoyait d'un monastère, et elle partageait entre les pauvres le prix qu'elle en retirait.

Élisabeth et une femme aux cheveux longs.

Après une grande disette, elle avait à distribuer aux indigents cinq cents marcs qu'elle avait reçus de sa dot. Tous avaient été placés en ordre, et Élisabeth, les reins ceints d'un lime, passait de rang en rang pour les servir. Il avait été décidé que si quelqu'un changeait de place, au préjudice des autres pauvres, pour recevoir deux fois, il aurait les cheveux coupés. Or, voilà qu'une jeune fille nommée Radegonde, remarquable par l’extrême beauté de sa chevelure, vint à passer par là, non pour recevoir l’aumône, mais pour visiter une de ses soeurs malade. On l’amena à la bienheureuse Élisabeth, comme ayant violé la loi. Elle la condamna à avoir les cheveux coupés de suite, malgré ses pleurs et sa grande résistance. Or, comme quelqu'un des assistants avançait qu'elle était innocente, la bienheureuse dit : « Au moins dans la suite elle ne pourra aller à la danse avec tant de prétention dans les cheveux, ni en tirer vanité. » Alors la bienheureuse Élisabeth demanda à la jeune fille si elle n'avait jamais conçu le projet de mener une vie sainte. Elle répondit que depuis longtemps déjà elle serait entrée en religion, si elle n'eût tant mis de délectation en ses cheveux. Élisabeth dit : « Alors, je suis plus heureuse de ce qu'on te les ait coupés que je ne le serais si mon fils était élu empereur des Romains. » Dès l’instant la jeune personne prit l’habit religieux, resta dans l’hôpital avec la bienheureuse Élisabeth, et mena une vie édifiante. Une pauvre femme mit au monde une fille que la bienheureuse Élisabeth tint sur les fonts sacrés et auquel elle donna son nom; ensuite elle lui fournit tout ce qui lui était nécessaire, de telle sorte que, prenant les manches de la pelisse d'une de ses suivantes, elle les donna à la mère pour envelopper cette petite enfant. Elle ajouta encore ses propres souliers.

Trois semaines après, cette femme abandonna sa petite fille, et s'enfuit en cachette avec son mari. Quand on apprit cela à sainte Élisabeth, elle se mit en prières. Alors le mari et la femme ne purent marcher davantage et furent forcés de revenir lui demander pardon. Elle leur reprocha, comme il était juste, leur ingratitude, leur remit la petite fille à nourrir et pourvut à tout ce dont ils avaient besoin.

Quand approcha le temps où le Seigneur décida d'appeler sa bien-aimée de la prison du monde, pour la faire participer au royaume des anges parce qu'elle, avait méprisé le royaume des mortels, Jésus-Christ lui apparut : Il lui dit : « Viens, ma bien-aimée, viens aux tabernacles éternels que je t'ai préparés. » Or, pendant qu'elle était tourmentée par la fièvre, elle s'était couchée et avait la figure tournée vers la muraille de son lit. Alors, les assistants entendirent une exquise mélodie. Une des suivantes s'étant informée auprès d'elle de ce que c'était, la sainte lui répondit : « Un petit oiseau est venu se poser entre moi et la paroi, et il a chanté d'une manière si suave qu'il m’a bien fallu chanter aussi. » Dans sa maladie, elle conserva toujours sa gaieté, et jamais elle ne cessa de prier. La veille de sa mort, elle leur dit : « Que feriez-vous, si 1e diable arrivait auprès de vous? » Un instant après, elle s'écria à haute voix, comme si elle chassait le diable, en répétant par trois fois. Ensuite, elle dit : « Fuis, voici minuit qui approche. C'est l’heure à laquelle Jésus-Christ a voulu naître et où il fut couché dans la crèche. »

La mort d'Élisabeth.

Quand approcha l’heure de son trépas, elle dit : « Le moment arrive où le Dieu tout puissant appelle ses amis aux noces célestes. » Peu après, arrivée à ses derniers instants, elle s'endormit en paix, l’an du Seigneur 1231. Quoique son corps vénérable fût resté quatre jours sans sépulture, il ne s'en exhalait aucune puanteur. Bien au contraire, il s'en exhalait un délicieux parfum dont on était embaumé. Alors, on vit sur le faite de l’église grande quantité de petits oiseaux réunis, que personne n'avait jamais vus auparavant. Ils chantaient avec des modulations si suaves, et formaient des modes si variés que l’on en était dans l’admiration. Ils semblaient célébrer à leur façon les funérailles d'Élisabeth. Or, il y eut là, grande clameur des pauvres, grande dévotion des peuples, les uns prenaient de ses cheveux, les autres coupaient des morceaux de ses vêtements, qu'ils conservaient comme des reliques extraordinaires. On plaça son corps dans un monument qu'on trouva plus tard regorger d'huile.

Une liste d'évidences.

  1. Il est évident qu'à son trépas, la bienheureuse Élisabeth était parvenue à une grande sainteté. Le chant du petit oiseau et l’expulsion du diable le prouvent. L'oiseau se plaça entre elle et la paroi. Il chanta si doucement qu'il la porta elle-même à chanter. Nous croyons que c'était son ange gardien lui annonçant la joie éternelle.
  2. Il est évident qu'elle possédait une grande pureté et une grande innocence, comme le prouve l’exhalation de l’odeur. Comme son corps brilla dans sa vie de toute innocence et chasteté, il exhala dans la mort une odeur exquise.
  3. Il est évident par le concert des oiseaux, qu'elle possédait un grand mérite et une grande dignité. Nous croyons que ceux qu'on vit sur le faîte de l’église, tout joyeux et chantant, c'étaient des anges envoyés de Dieu, pour porter son âme au ciel et pour honorer son corps par de célestes jubilations. Quand les réprouvés meurent, une multitude de démons se rassemblent pour les tourmenter et les effrayer afin d'emporter leurs âmes au tartare. De même au décès des élus affluent une multitude d'anges, qui les fortifient et convoient leurs âmes aux célestes royaumes.
  4. Il est évident qu'elle fut très miséricordieuse et pieuse, comme l'atteste l’huile qui émana de son corps qui montre qu'elle fit durant sa vie des œuvres avec beaucoup de miséricorde. Ôh quelle affluence de piété dess entrailles de celle dont le corps, fut retrouvé inondé d'huile. !
  5. Il est évident qu'elle a beaucoup de pouvoir et de mérite auprès de Dieu, comme le montre le nombre prodigieux de miracles dont Dieu la glorifia après sa mort.

En voici quelques-uns ci-après ; un grand nombre sont omis pour ne pas être trop long.